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Une personne, un nom

JE N'AI PAS CONNU  Uszer Kahan, mais je suis cependant profondément connectée à lui. Je porte ce prénom en souvenir de sa mère, Toba Kahan, la sœur préférée de ma grand-mère qui habitait ce qui était alors la Pologne, et aujourd'hui l'Ukraine. Toba et son époux avaient 6 enfants. Dans cette famille de huit personnes, une seule survécut à l'Holocaust, une de leur fille qui s'était installée en Palestine en 1939.

Uszer quitta la Pologne pour la Belgique l'année de ses vingt ans, non pas pour échapper à la persécution mais plutôt pour suivre des études d'ingénieur à l'université de Liège. Après l'obtention de son diplôme en 1930, il se rendit en France et trouva du travail comme dessinateur industriel pour une société d'aéronautique dans la région de la Somme. Mais en juin 1940, suite à la capitulation de l'armée française face aux forces allemandes, Uszer rejoint les millions de civils français fuyant vers le sud de la France, en quête de sécurité et de liberté dans la zone non occupée, la "zone libre".

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JE TENAIS à connaître en détail le destin tragique du fils de la femme dont je porte le prénom ; ainsi mes recherches sur Uszer Kahan m'ont conduites à Tarbes il y a presque 7 ans. Grâce aux archives, j'ai pu consulter les cartes d'identité d'Uszer, où figuraient sa photographie ainsi qu'un timbre ponctuant chacune des étapes dans sa fuite vers le sud. A Paris, Vaux de Vere, Déols, Saint-Girons, Bonac-sur-Lèze, Pierrefitte, Figeac, Bagnac et finalement à Tarbes, où Uszer fut contraint de signaler sa position à la police.

En arpentant les rues de Tarbes, j'ai vu les endroits où Uszer avait vécu, et les bâtiments dans lesquels il avait travaillé pour Panhard, le constructeur automobile qui a fabriqué des véhicules militaires pendant la guerre. J'ai appris, à ma grande surprise, que Uszer ne cherchait pas à se cacher mais au contraire vivait ouvertement, payant ses impôts et formulant auprès de la police des demandes d'autorisation pour que son frère, interné dans un groupement de travailleurs étrangers, puisse lui rendre visite.

Peut-être se sentait-il en sécurité à Tarbes parce qu'il avait un emploi et un contrat de travail avec le Ministère du Travail. Peut-être se sentait-il en sécurité à Tarbes parce qu'il avait entendu des rumeurs sur la bienveillance des Tarbais, notamment le maire Maurice Trélut, qui, de connivence avec les Sœurs de l'hôpital, cachaient des Juifs persécutés et des résistants, les dissimulant en patients ou en aide-soignants.

Pourtant, Uszer n'était pas en sécurité. Le 24 février 1943, il fut arrêté à son domicile, non pas par les Allemands mais par un policier français, inspecteur de la sureté de Tarbes, agissant sur les ordres du préfet des Hautes-Pyrénées. Le 4 mars 1943, à peine trois jours après son 39ème anniversaire, Uszer fut déporté depuis le camp de transit de Drancy dans le convoi n°50, à destination du centre de mise à mort de Sobibor.

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AU MOMENT où j'ai découvert la dernière adresse d'Uszer Kahan à Tarbes, j'ai ardemment désiré qu'un Stolperstein y soit scellé. Un Stolperstein désigne la dernière résidence d'une victime de l'Holocaust. Ce n'est pas une sépulture ni un mémorial en hommage à des millions de personnes, mais plutôt un hommage à une personne, à un nom qui ne doit pas être oublié. Il apporte une dimension intime et personnelle au regard de l'Histoire, en se concentrant sur un individu ayant vécu à un endroit particulier.

Cette pierre commémorative a pu voir le jour grâce à l'aide de plusieurs personnes à Tarbes. Je tiens à remercier les archivistes qui m'ont tellement aidée à rechercher les traces du parcours de Uszer Kahan et ont généreusement essayé de répondre à mes nombreuses interrogations. J'exprime ma reconnaissance à M. le maire Gérard Trémège, dont la permission d'installer le Stolperstein était essentielle dans ce projet. Enfin et surtout, j'adresse mes plus sincères et vifs remerciements à Thomas Ferrer, qui a redonné une nouvelle impulsion au projet en l'envisageant sous l'angle d'un outil pédagogique, en réalisant un film avec ses élèves du lycée Jean Dupuy. Ce sont l'engagement, la persévérance et le soutien de Thomas Ferrer qui ont permis de concrétiser ce projet. Merci beaucoup à tous ceux qui ont participé.

E pensant au Stolperstein et aux efforts fournis pour le rendre réel, je m'interroge : qui passera devant cette pierre plaquée de laiton ? Qui s'arrêtera pour en lire les inscriptions ? Qui se demandera : "Qui était cette personne ?" Que lui est-il arrivé ? Et pourquoi ?"

Le rôle de ce Stolperstein doit être d'encourager les questions, de chercher à comprendre, et de conserver la mémoire de tous ceux qui ont subi le même sort funeste. Je souhaite que certains reviendront dans cette rue, réfléchiront à la vie de Uszer Kahan, et se souviendront de son nom.

Toby Sonneman, Tarbes, 6 mai 2022.

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Un étudiant rejoint le maire et enseignant Thomas Ferrer avant que le Stolperstein ne soit placé sur le trottoir.

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UNE ÉTUDIANTE A ÉCRIT qu'elle était surprise de constater que la maison où Uszer Kahn avait été arrêté se trouvait dans une rue où elle se promenait souvent.

"C'est bien une porte dans une rue à l'histoire inconnue", écrit-elle. "Je me demande pourquoi cette histoire et cette arrestation sont si peu entendues ou connues. Si nous n'en avions pas parlé au lycée, je n'aurais jamais su et n'aurais jamais su que cet endroit avait une histoire."

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QUI PASSERA A PROXIMITE de cette pierre plaquée laiton ? Qui s'arrêtera pour lire l'inscription? Qui se demandera : 'Qui était cette personne ? 'Que lui est-il arrivé? Et pourquoi?'

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